On
avait 8 ans, ou 10, ou 12. On était en classe, en train de rêver, de
gribouiller au dos de nos cahiers, d’écrire un petit mot très important pour
dire à Stéphanie qu’on voulait bien re-être copines à la récré, ou même de
travailler, tiens. Soudain, stridente, elle retentit. L’alarme. Au fond de la
classe, le cancre ouvre un œil. Les autres sourient. On va sortir ! Le
prof soupire, lève les yeux au ciel. Il a à peu près autant d’enthousiasme que
les élèves, tout à l’heure, quand ils sont rentrés dans son cours.
« Vous
vous rangez pour sortir et vous laissez vos sacs ! » On prend quand même
son manteau, même si ça fait perdre du temps.
« On
reste calme dans le couloir ! » Le prof crie, s’énerve, houspille les
retardataires qui traînent dans les couloirs. On arrive dans la cour, on
retrouve les copains des autres classes, au milieu des enseignants qui comptent
et recomptent leur troupeau ; des petits malins chuchotent « sept,
douze, vingt-deux » pour leur faire perdre le fil. Au bout de quelques
minutes, sur un signe de tête du directeur, on retournera en classe, en
croisant les doigts pour que l’exercice ait duré assez longtemps et qu’il soit
déjà l’heure de la sortie.
C’est
un jeu, un petit moment de liberté. Un rituel annuel, comme le sapin de Noël et
la vente des gâteaux.
Je
crois qu’on n’a jamais pensé que cela pourrait être vrai, qu’il pourrait y
avoir vraiment le feu.
Ou
alors, peut-être, aux moments les plus romantiques de l’adolescence, on
s’imaginait, seule, enfermée, les camarades en larmes regardant impuissants
l’immeuble en flammes, et soudain emportée dans les bras d’un beau pompier
valeureux aux allures de Superman.
La
semaine dernière, à l’école de ma fille, il y a eu un exercice.
Pas
d’incendie, non.
Un
exercice de préparation « à une situation où une personne malveillante
pourrait s’introduire dans l’établissement. »
En
rentrant, elle m’a raconté qu’ils avaient dû se cacher sous les bureaux, puis
sortir en silence « par un passage secret ».
Je
me suis demandé ce qui avait bien pu me passer par la tête, de faire des
enfants à une époque où on craint que des personnes malveillantes
s’introduisent dans les écoles.
Je me suis demandé ce qui avait bien pu se
passer dans le monde, tout court.
Je me suis demandé si ça l’avait amusé, si
elle avait eu peur, si elle y avait cru.
À quoi elle avait pensé, en boule sous
son bureau, attendant les instructions.
Je me suis demandé à quoi pouvait bien
ressembler dans sa tête ce « méchant » dont il fallait se cacher. Un
troll ? Un dragon ? Une sorcière ?
Je me suis rappelé qu’au
Nouvel An, en entendant les feux d’artifice, elle m’avait demandé,
inquiète : « C’est des terroristes ? » Je me suis demandé
si, à 8 ans, je connaissais le mot « terroriste ».
Je me suis demandé
si elle savait que la petite nouvelle de sa classe, celle qui ne parle pas
encore très bien français, connaissait bien ce genre de situation, pour de vrai.
Je me suis demandé si elle avait remarqué que, depuis novembre, les maîtresses
fermaient soigneusement à clé le portail d’entrée, qui fait 1m10 de haut, comme
pour conjurer le sort.
Je me suis demandé si elle trouvait tout ça normal.
Et
puis elle est partie jouer, et je me suis rappelé qu’elle avait quand même
encore beaucoup de chance de pouvoir le faire. Je me suis demandé à quoi ressemblerait
le monde quand elle aurait mon âge, et puis je suis allée jouer avec elle.
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