lundi 10 juin 2019

Lettre aux jurés du concours de peinture (et d’autres) ou pourquoi mes filles sont de meilleures personnes que moi.

Chers jurés,
Vraiment, je vous jure, moi, je suis pas comme ça. Je suis prof, et on en a, des parents qui viennent nous voir pour nous dire que leur petit chéri méritait une meilleure note, le pauvre, il a fait tellement d’efforts. Alors que le petit M., c’est pas pour dire, Madame, mais son exposé vous savez, il ne l’a pas fait tout seul… Non, moi je suis pas comme ça. Je leur ai dit à mes filles, avant le concours de peinture, et quand on a fait la vidéo pour le concours de leur magazine préféré : « Si vous ne gagnez pas, c’est… pas… grave ! L’important c’est de… s’amuser ! et de faire de son mieux, hein ! »

Alors quand N°1 n’a été que 3ème de sa catégorie et que n°2 n’a rien gagné du tout, on les a félicitées de leurs efforts, on a admiré les gagnants, et on est rentrés le cœur léger avec nos cadeaux de consolation, voilà ! Et pareil pour le concours de vidéos !


Mais vraiment… Vraiment ? Le petit, là, avec ses gribouillis, et l’autre, qui avait à peine 4 ans, devant MA fille à MOI ? Et puis c’est pas pour dire, mais il y avait écrit « Concours de peinture », et votre premier, là, il a fait du feutre, alors… Vous ne vous rendez pas compte, chers jurés, elle s’était entraînée la veille, elle a passé deux heures sur sa belle rose, et tout…

Et je vous parle même pas du concours de vidéos ! Des jours, qu’on a passés sur ce truc !

Bon d’accord. Il est envisageable que j’aie un petit problème avec l’objectivité.
Vous vous souvenez des téléfilms de l’après-midi sur M6, avec la mère de famille qui empoisonne le milk-shake de la pom pom girl rivale de sa fille ? Et bien je dois vous avouer que quelque part, tout au fond de moi, je la comprends un peu. Je dis pas que j'ai envie de le faire, hein… mais je comprends...
Et peut-être que c’est bien, quelque part, que mes filles aient au moins une personne qui trouvera toujours qu’elles sont les meilleures, avant de devoir aller affronter le grand méchant monde et les autres personnes intelligentes et talentueuses que l’on y rencontre.
Sans compter que j’ai dû bien les élever, puisque oui, à l’annonce des résultats pour la peinture, n°2 s’est renfrognée une demi-seconde, puis a pris son lot de consolation et est repartie gambader joyeusement. Et que devant les vidéos gagnantes du concours, elle s’est exclamé : « Je comprends que les premiers aient gagné, c’est génial ce qu’ils ont fait ! »
Peut-être bien qu’elles ont compris que c’est vrai que l’important c’est de participer.

Moi… j’y travaille encore… 

(N’empêche, elle est pas top leur vidéo ?)


dimanche 14 janvier 2018

Lettre à ma crevette


Ma Princesse Deuxième chérie

Tu as désormais 6 ans, et la moitié de tes vêtements portent encore des étiquettes 4 ans, si bien qu’on ne sait plus si on doit les mettre dans la commode de ta sœur de 3 ans ou dans la tienne. Soyons clairs : tu n’es pas grande. Je sais de quoi je parle, moi qui suis ravie quand j’ai des classes de 6ème vu que ce sont les seules où il y a encore des élèves plus petits que moi (en septembre ; en juin ils ont pris douze centimètres, et pas moi). Et je ne te parle pas de ces grandes bringues de 3ème qui trouvent hilarant de coller l’effaceur magnétique tout en haut du tableau.

Les gènes qui m’ont péniblement poussée jusqu’à 1m55 ont à peu près épargné tes sœurs, qui restent dans la moyenne, mais tu en as joyeusement hérité. Alors, du haut (ah ah) de mon expérience, voici quelques petites (re-ah ah) choses que j’aimerais que tu saches sur le fait d’être une miniature.

On te trouvera mignonne
Evidemment, tu l’es, mignonne. Adorable, même. Et je ne laisserai jamais personne dire le contraire. Mais tu es belle, aussi. Ça a souvent des avantages, dans la vie, d’être mignonne. En voyant ta bouille, tes grands yeux bleus, les gens fondent. Tu as des chouquettes gratuites à la boulangerie, des cadeaux plein les poches, on te parle gentiment et on te pince les joues tous les vingt mètres (ok, moins sympa). Sauf que c’est tellement agréable qu’on a tendance à ne vouloir être que ça. À en jouer, un peu. Et que le jour où ça finit on se retrouve un peu perdue. (Parce que d’accord, quand on est une crevette ça dure plus longtemps, mais crois-moi, un jour l’adolescence arrive, et la mignonnerie s’en va. C’est juste pas compatible). On ne sait plus trop qui on doit être. Tu es plein d’autres choses que mignonne, n’oublie pas.

Mais j'aime bien les chouquettes...
Les gens te prendront pour une mascotte 
Comme tu es mignonne, une vraie poupée de poche, les gens ont envie de te toucher. T’ébouriffer les cheveux, te porter, t’enlever dans leurs bras par surprise. Je te vois froncer les sourcils, serrer les poings, mais tu ne dis rien. Je sais que ce n’est pas facile, mais tu as le droit de ne pas te laisser faire, et un petit coup de pied pointu dans les côtes, ça peut les aider à comprendre. Tu es une petite fille, pas un doudou.

On te trouvera particulièrement intelligente 
Depuis que tu as environ quatre ans, ça n’arrête pas : « Qu’est-ce qu’elle parle bien ! » C’est pas que tu parlais si bien que ça, c’est que tu avais 4 ans et que les gens t’en donnaient 2. Forcément, il y a un décalage. Evidemment que tu es intelligente, que tu parles bien, et que je suis de toute façon toujours en admiration devant toi. Mais quand les gens s’extasieront parce que tu sais lire ou que tu emploies des mots compliqués, rappelle-toi que l’idée qu’ils se font de toi à première vue n’est pas toujours très juste. Ne te repose pas sur tes lauriers.

On ne te prendra pas au sérieux
On s’extasie devant ton intelligence, c’est vrai, on trouve ça incroyable, les grandes phrases que tu fais, avec du vocabulaire dedans et tout. Et mignonne avec ça. Mais tu apprendras que « Elle est mignonne », c’est pas toujours un compliment. Parfois les gens pensent que parce qu’ils baissent les yeux pour te regarder, ils peuvent te prendre de haut. Ne te laisse pas démonter, plante tes beaux yeux bleus dans les leurs, et continue ce que tu as à faire. Ils finiront par comprendre.



Vous pouvez rigoler, mais il va quand même falloir opérer

On pensera que tu es fragile
Et parfois, tu trouveras ça bien pratique. Je te connais : pour enlever les petites roues, pour essayer le mur d’escalade, le parcours d’accrobranche ou le train fantôme, ça t’arrange bien d’avoir l’air petite. Personne ne va te pousser. C’est vrai quoi, elle est si petite, la pauvre, laissez-la, elle le fera plus tard.
Je ne te laisserai pas faire, et tant que ça se passera sous mes yeux, je te pousserai aux fesses. Ne te planque pas derrière ta frimousse de bébé et lance-toi sur cette tyrolienne, tu verras que l’adrénaline ça vaut le coup !
Bon, après, si tu peux en profiter pour te faire aider parce que vraiment, cette boîte-là elle est trop lourde, je peux comprendre, hein…


Effectivement, tu ne pourras pas attraper ce qui est sur l’étagère du haut.
Et comme c’est là que sont les produits les moins chers, quand tu seras étudiante, tu essaieras de grimper sur les paquets de riz du bas. (Oui, c’est du vécu.) L’avantage, c’est que ça rend très social, que ce soit pour alpaguer le chaland et lui demander de l’aide ou demander au vendeur où se cache ce fichu escabeau. Tu grimperas sur des escabeaux dans plein de magasins différents, et au bout d’un moment, tu ne penseras même plus que tu es ridicule.

Et puis il y a tout de même quelques avantages, le premier étant que tu feras plein d’économies (et tes parents aussi, d’accord).

J’ai réussi à te faire payer moins de trois ans quand tu en avais cinq, et telle que tu me vois, j’ai payé moins de 13 ans à la piscine jusqu’à 19 ans et moins de 18 ans au ciné jusqu’à au moins 26 ans… Tu y repenseras quand on te demandera ta pièce d’identité en boîte au même âge…

dimanche 1 octobre 2017

Lettre à ma gynéco, ou il n'y a pas que les violences qui peuvent faire mal

Lettre à ma gynéco
Coucou,
Non, ne cherche pas, tu ne te souviens sûrement pas de moi. On s’est vues en rendez-vous trois fois il y a trois ans, tu as dû voir quelques centaines d’autres patientes depuis. Ah, et puis tu as sorti mon bébé de mon ventre, aussi. C’est quelque chose que tu fais tous les jours.
Comme tu l’imagines, moi, on ne me sort pas un bébé du ventre tous les jours. Ça fait déjà une sacrée différence entre nous.

J’imagine que tu as remarqué que depuis quelques mois, ta profession est pas mal malmenée. Partout, on trouve des récits atroces sur les violences gynécologiques et obstétricales : des césariennes sans péridurale, des remarques ignobles, des épisiotomies sanglantes, du mépris, de l’incompréhension…
Je t’imagine lisant tout cela, et je me demande ce que tu penses. Tu es choquée, sûrement, tu te dis que ni toi ni personne que tu connais ne s’est jamais comporté comme ça. Que tu veux bien croire les témoignages, mais qu’il ne faut quand même pas en faire une généralité. Il y a des fous et des incompétents dans toutes les professions, c’est vraiment injuste de te mettre dans le même sac que ceux-là, avec tout le boulot que tu abats.

Je pourrais commencer par te raconter que moi, je n’ai jamais rien vécu d’aussi violent. Mais que j’ai quand même croisé des gynécos un peu spéciaux. Il y a le premier que j’ai vu, à 18 ans, pour avoir la pilule. Qui m’a dit : « Je pourrais vous donner une pilule remboursée, mais ça fait grossir, et bon, vous n’avez peut-être pas besoin de ça. »
Rien de grave, tu vois. Mais pas très agréable ni rassurant.
Quelques années plus tard, vers 25 ans, il y a eu celui, pas de première jeunesse, qui m’a tutoyée d’emblée, et qui au moment de remplir sa fiche, m’a lancé « Bon, vous n’avez pas de relations sexuelles, j’imagine ? » J’en suis un peu restée bouche bée. Je ne m’imaginais pas à ce point repoussante, pour tout t’avouer.

Pas très malin tout ça, mais pas de quoi fouetter un chat, tu me diras. Tu te demandes où je veux en venir. Toi, t’as bien fait ton boulot, après tout.

Et c’est vrai, je n’ai subi aucune violence de ta part. Et pourtant… J’aimerais tellement pouvoir te faire comprendre combien ton attitude peut mettre mal à l’aise, peut blesser. Qu’il suffirait de pas grand-chose, à commencer par l’écoute.

Quand je suis venue te voir, j’étais enceinte de ma troisième fille. Je t’ai expliqué, l’air de rien, que les deux premières étaient nées par césarienne. J’ai murmuré, bizarrement timide, que je ne vivais pas ça très bien. Que je me demandais si, pour cette fois, on ne pourrait pas essayer… tu m’as coupée : après deux césariennes, c’est césarienne, il n’y a pas à réfléchir.
Je savais que les AVAC existaient, et même les AVA2C. Je me suis demandé si tu le savais, si tu trouvais ça juste absurde, si tu pensais que ce n’était pas la peine de m’expliquer pourquoi c’était une mauvaise idée, que je ne comprendrais pas.
Je n’ai pas réussi à te poser les questions que j’avais en tête. Depuis 9 ans, je rêve de vous demander, à toi et à tes collègues, pourquoi mes bébés ne descendent pas dans mon bassin le dernier mois. Pourquoi je n’ai aucune contraction. Ce qui se serait vraiment passé si on avait attendu, pour chacune de mes grossesses, au-delà du terme. Si on était vraiment en danger. Ce qu’il se passerait vraiment, si on essayait de me faire accoucher. Ce que je risquais, ce que le bébé risquait, à quel pourcentage. Les trois fois (une fois d’urgence, deux fois programmées), on m’a juste dit qu’il fallait le faire, que c’était comme ça. J’aurais juste aimé comprendre.
Toi, des accouchements, tu en fais, tu en as vécu ou en vivra peut-être. Moi, je n’ai pas d’autre occasion.
J’ai essayé, parfois, d’expliquer que c’était difficile à vivre, que j’avais l’impression d’être une femme un peu ratée, qui n’arrive pas à faire naître ses enfants. Que c’était dur de ne pas avoir accouché. Mais ni toi, ni les autres n’ont entendu.

J’ai quand même réussi à te parler de mon autre préoccupation. D’une petite voix qui ne m’est pas habituelle, je t’ai dit qu’après ce bébé-là, plus tard, j’aimerais bien en avoir d’autres. Que je me demandais si c’était possible. Parce que, vous savez, ma tante dit que… Tu as souri, tu as dit : « Un quatrième ?!? Au troisième, généralement, on en profite plutôt pour faire la ligature des trompes au passage. »

Puis tu m’as dit que ça dépendait de l’état de la cicatrice, que tu pourrais me le dire après.

Tu m’as quand même dit de ne pas m’inquiéter, que contrairement à ce que j’avais vécu pour ma deuxième fille, mon bébé resterait avec moi tout le temps, qu’elle serait sur moi en salle de réveil. J’étais rassurée, un peu. Je me convainquais que malgré la césarienne, ce serait un joli moment.

Le jour venu, je me suis retrouvée allongée, les bras attachés en croix, comme d’habitude, les yeux au plafond. Pourtant, j’ai lu que ce n’était pas obligatoire. Tu me dis vaguement bonjour, tu es concentrée. Piqûre, découpage, sortie du bébé. Je connais bien ces sensations maintenant. J’essaie de repérer le moment où ton scalpel entame la peau, le moment où tu sors le bébé, mais je ne sais rien, et tu ne dis rien.
L’infirmière attrape mon amoureux, l’emmène comme prévu dans la petite salle juste à côté pour nettoyer ma fille. Il me l’amène, puis il m’explique qu’il y a eu un problème : il y avait beaucoup de liquide, elle a mis du temps à sortir, elle en a respiré. C’est pas grave, mais elle doit partir en néonat pour qu’on l’aide à respirer et à vider ses poumons.
Je ne l’aurai pas avec moi en salle de réveil. Je ne serai pas là quand ses sœurs la verront pour la première fois.
Pendant ce temps-là, tu me recouds, puis tu t’en vas. Je ne sais plus si tu m’as dit au revoir, mais je sais que c’est la dernière fois de ma vie que je t’ai vue. Tu ne m’as pas expliqué ce qui s’était passé. Je me demande si c’est de ta faute, si tu as mis trop de temps à la sortir.  Tu savais bien que ce n’était pas très grave, qu’elle sortirait de néonat moins de vingt-quatre heures plus tard. Tu as sûrement assisté à des naissances bien plus dramatiques, celle-ci ne t’a pas inquiétée. Le plus important, c’est que l’enfant aille bien, non ? Le reste, ça passera…
Evidemment, ce dont on avait parlé, savoir si je pourrais avoir une quatrième grossesse un jour, ça ne t’a même plus effleurée. Je ne pense pas que tu t’en souvenais. Tu as des fiches, pourtant.

J’ai donc passé deux heures en salle de réveil, à 8 de tension, ayant envie de vomir à chaque respiration, seule, parcourue de tremblements.

J’ai vu ma fille 10 minutes en 24 heures. Ensuite, on lui a enlevé ses tuyaux, et on l’a laissée près de moi. Comme tous les bébés.

Alors oui, je vais bien, elle va bien. Il y a des naissances tellement plus dures, des souvenirs tellement plus douloureux, je peux m’estimer heureuse. Tu ne m’as pas maltraité, tu ne t’es pas rendue coupable de maltraitances gynécologiques, rassure-toi.

Mais tu ne m’as jamais écoutée.

Avant de te laisser, une chose : ce qui m’a aidée, pendant ces quelques jours, ce n’est pas la pensée des 15 minutes pendant lesquelles tu m’as ouverte puis refermée, ce n’est pas non plus la psy de la clinique qui m’a écoutée pleurer pendant une demi-heure en hochant la tête. C’est les infirmières et les puéricultrices, qui ne m’ont pas quitté, qui ont répondu à mes questions, qui ont bavardé avec moi. C’est le souvenir de l’aide-soignante qui m’avait accueillie, le matin avant la naissance, qui avait rempli mes papiers et préparé ma chambre. Lorsque j’étais en salle de réveil, elle était revenue me voir. Elle était habillée en civil : son service était terminé. Elle m’a pris la main et m’a dit : « Je sais que ça ne s’est pas passé comme vous le vouliez. » Ça n’a pas eu l’air de beaucoup lui coûter. Elle non plus ne se souvient sûrement plus de moi. Mais son geste, je m’en souviens.




jeudi 14 juillet 2016

Et si j'étais nullipare...?


J’ai lu il y a quelques jours un article qui parle des mères qui regrettent d’avoir eu des enfants. Une scientifique a posé à ces mères la question suivante : « Si vous pouviez revenir en arrière dans le temps, avec la connaissance et l’expérience que vous avez aujourd’hui, seriez-vous une mère ? »

Évidemment, et même si elle terrorise, on ne peut pas s’empêcher de se poser la question. Et certains soirs, après une journée de vacances sous le cagnard à pousser un enfant hurlant sur un toboggan rouillé, suivie d’une soirée à forcer un préado insolent à faire les exercices de son Passeport CM2, quand on se prend les pieds dans un slip sale et une serviette mouillée sur le chemin du lit à 22h32, on se prend à se demander comment on en est arrivée là.
J’ai plutôt tendance à trouver ça assez cool d’avoir fabriqué des êtres humains. Mais ça n’empêche pas de penser à tous les rêves, le fric, les aventures et la peau du ventre lisse auxquels on a dû renoncer…
Je m’imagine dans un film hollywoodien (jouée par Jamie Lee Curtis ou Kate Winslet… Ben oui tant qu’on rêve, faut pas se limiter). Je tomberais sur un biscuit chinois magique, et je verrais à quoi ressemblerait ma vie si je n’avais pas rencontré ce jeune boutonneux à la fête foraine il y a 12 ans… (C’est une longue histoire… mais il est beaucoup plus beau aujourd’hui !)… et si on n’avait pas décidé de fabriquer 3 princesses rebelles d’affilée.
J’imagine même la lettre qu’elle (enfin, moi) pourrait m’écrire pour me raconter sa vie de nullipare de 37 ans… (oui bon, j’ai 37 ans, on n’est pas obligés de le crier sur tous les toits non plus.)

« Salut ma vieille !
Désolée si je t’appelle comme ça, hein, je déconne. Mais bon, faut être honnête, j’ai vu tes photos sur facebook (entre 15 photos de tes filles, évidemment… du coup j’ai arrêté de te suivre, hein, les grandes réflexions philosophiques à 2 balles de morveuses de moins de 8 ans devant lesquelles tout le monde s’extasie, ça a fini par me soûler un brin). Qu’est-ce qui t’est arrivé, ma pauvre ? C’est quoi ces cernes sur toutes les photos ? Et t’as pris combien ? On n’a jamais été minces, mais là, t’as bien pris 15 kilos, non ? Quand ton dernier a plus de 2 ans, on appelle encore ça des kilos de grossesse ? M’en veux pas, il est encore temps de te reprendre, tu sais.
J’ai aussi vu que tu cherchais à acheter un appart ? Ou une maison, peut-être ? Tu rêves d’un petit pavillon avec du géranium aux fenêtres pour passer tes vieux jours ? Je te charrie, je sais bien que tu n’es pas la seule, j’imagine qu’à notre âge, c’est ce qui se fait. Je devrais faire comme toi, d’ailleurs, maman n’arrête pas de me le dire. Histoire de mettre de l’argent de côté. Je sais qu’elle a raison, mais je ne peux pas m’en empêcher, mon argent, je préfère le dépenser. Comme je suis toute seule, je suis plutôt à l’aise financièrement, et je voyage tout le temps.
Comme j’ai pu partir en stage longue durée à l’étranger à la fin de mes études (forcément, toi tu as renoncé, puisque tu venais de rencontrer ton prince charmant…), j’ai rencontré pas mal de gens intéressants, et puis c’est pratique, professionnellement parlant, d’être mobile. Du coup aujourd’hui j’ai un poste à responsabilités plutôt pas mal, je change de pays tous les 3 ou 4 ans, je visite toutes les régions du monde… Tu as dû voir ça sur mon facebook aussi, d’ailleurs, non ? Évidemment j’ai encore beaucoup de rêves à réaliser, mais c’est vrai que quand on est seule et libre c’est plus facile !  J’ai aussi passé mon diplôme pour être prof de yoga, et je fais partie d’une troupe de théâtre. J’en ai besoin pour mon équilibre, vraiment, je ne pourrais pas m’en passer.
Sans compter que je ne sais pas comment tu fais pour te contenter d’un seul homme à vie, mais c’est quand même pas mal de pouvoir varier les plaisirs… Non, faut pas croire, je ne cours pas le guilledou, enfin, plus maintenant. Vers 25 ans je me suis bien amusée, maintenant, ça dépend des rencontres… J’ai eu quelques longues histoires, enfin, quelques mois, une fois plus de deux ans… Mais je n’ai pas envie de me poser, après on est obligés de faire des compromis et je n’ai pas envie de ça.

Il faut quand même que je te dise une chose… Tout ce que je te raconte est vrai, ma vie est plutôt chouette. Mais en réalité, je les aime bien, tes photos. Tes filles sont à croquer. Et si parfois je refuse de les regarder, ce n’est pas parce que j’en ai assez, mais parce que j’ai le cœur qui se serre quand je croise une poussette. Je gagatise devant les bébés, je regarde passer les familles et parfois je me sens seule. Je suis la tata cool avec qui on peut manger du Nutella à la cuillère en regardant des dessins animés après le dîner, mais ça ne suffit pas toujours. J’aimerais bien trouver un homme qui soit là pour m’écouter quand j’ai un coup de blues, aussi. Qui m’apporte du bouillon quand j’ai la grippe. Oui, j’ai des rêves de midinette. Je ne sais toujours pas si j’aurai des enfants un jour, et ça me fait peur. Alors oui, j’aime ma vie, mais la tienne me fait aussi rêver.

Je sais que certains soirs tu rêves de tout plaquer et de partir seule à l’autre bout du monde, cheveux au vent… et je te comprends, vraiment. Mais ces soirs-là, rappelle-toi qu’il y en a plein qui rêvent de ce que tu as…
Des bises,

Toi nullipare. »

Et vous, vous y pensez parfois, à ce qu’aurait été votre vie sans enfants ?

samedi 2 juillet 2016

Exercice de prévention... Un jour ordinaire à l'école en 2016


On avait 8 ans, ou 10, ou 12. On était en classe, en train de rêver, de gribouiller au dos de nos cahiers, d’écrire un petit mot très important pour dire à Stéphanie qu’on voulait bien re-être copines à la récré, ou même de travailler, tiens. Soudain, stridente, elle retentit. L’alarme. Au fond de la classe, le cancre ouvre un œil. Les autres sourient. On va sortir ! Le prof soupire, lève les yeux au ciel. Il a à peu près autant d’enthousiasme que les élèves, tout à l’heure, quand ils sont rentrés dans son cours. 

« Vous vous rangez pour sortir et vous laissez vos sacs ! » On prend quand même son manteau, même si ça fait perdre du temps. 

« On reste calme dans le couloir ! » Le prof crie, s’énerve, houspille les retardataires qui traînent dans les couloirs. On arrive dans la cour, on retrouve les copains des autres classes, au milieu des enseignants qui comptent et recomptent leur troupeau ; des petits malins chuchotent « sept, douze, vingt-deux » pour leur faire perdre le fil. Au bout de quelques minutes, sur un signe de tête du directeur, on retournera en classe, en croisant les doigts pour que l’exercice ait duré assez longtemps et qu’il soit déjà l’heure de la sortie. 

C’est un jeu, un petit moment de liberté. Un rituel annuel, comme le sapin de Noël et la vente des gâteaux.

Je crois qu’on n’a jamais pensé que cela pourrait être vrai, qu’il pourrait y avoir vraiment le feu.
Ou alors, peut-être, aux moments les plus romantiques de l’adolescence, on s’imaginait, seule, enfermée, les camarades en larmes regardant impuissants l’immeuble en flammes, et soudain emportée dans les bras d’un beau pompier valeureux aux allures de Superman.

La semaine dernière, à l’école de ma fille, il y a eu un exercice.
Pas d’incendie, non.
Un exercice de préparation « à une situation où une personne malveillante pourrait s’introduire dans l’établissement. »

En rentrant, elle m’a raconté qu’ils avaient dû se cacher sous les bureaux, puis sortir en silence « par un passage secret ».

Je me suis demandé ce qui avait bien pu me passer par la tête, de faire des enfants à une époque où on craint que des personnes malveillantes s’introduisent dans les écoles. 
Je me suis demandé ce qui avait bien pu se passer dans le monde, tout court. 
Je me suis demandé si ça l’avait amusé, si elle avait eu peur, si elle y avait cru. 
À quoi elle avait pensé, en boule sous son bureau, attendant les instructions. 
Je me suis demandé à quoi pouvait bien ressembler dans sa tête ce « méchant » dont il fallait se cacher. Un troll ? Un dragon ? Une sorcière ? 
Je me suis rappelé qu’au Nouvel An, en entendant les feux d’artifice, elle m’avait demandé, inquiète : « C’est des terroristes ? » Je me suis demandé si, à 8 ans, je connaissais le mot « terroriste ». 
Je me suis demandé si elle savait que la petite nouvelle de sa classe, celle qui ne parle pas encore très bien français, connaissait bien ce genre de situation, pour de vrai. 
Je me suis demandé si elle avait remarqué que, depuis novembre, les maîtresses fermaient soigneusement à clé le portail d’entrée, qui fait 1m10 de haut, comme pour conjurer le sort. 
Je me suis demandé si elle trouvait tout ça normal.

Et puis elle est partie jouer, et je me suis rappelé qu’elle avait quand même encore beaucoup de chance de pouvoir le faire. Je me suis demandé à quoi ressemblerait le monde quand elle aurait mon âge, et puis je suis allée jouer avec elle.