dimanche 4 décembre 2011

Lettre à ma femme de ménage

Chère Madame H.

D’ordinaire, quand il me prend l’envie soudaine de lancer un message au monde, enfin, à une personne ou une autre, c’est quand même la plupart du temps pour râler. Ben oui, bizarrement, on a beaucoup plus de choses à dire aux gens qui nous énervent qu’à ceux qui nous rendent service.

Mais la semaine dernière, Frédéric Lopez a dit qu’être reconnaissant et l’exprimer, ça rendait heureux. Et Frédéric Lopez, je l’aime, il est beau, et c’est mon futur mari de dans une prochaine vie.
Kiffe Love
Désolée Namour


 En plus, être heureuse, moi, ça m’intéresse, et quand on me propose une méthode rapide et gratuite pour y parvenir, je saute sur l’occasion… Alors voilà, Mme H., trêve de galéjades, très, très sérieusement :

MERCI

J’espère ne pas vous vexer en disant cela, mais je suppose que, comme beaucoup d’autres, votre métier n’est pas une vocation. Il est rare qu’une petite fille dise : " Quand je serai grande, je veux passer la serpillère chez des gens que je connais pas." Et les plus maniaques de mes connaissances ne traquent la poussière que chez elles. Je ne connais pas votre vie, mais j’imagine que ce n’était pas forcément le boulot de vos rêves, mais après tout, il faut nourrir les enfants, on prend ce qu’on trouve, c’est pas si mal après tout, et puis je peux organiser mes horaires, et j’ai pas tous les jours un patron sur le dos…

Ce que je crois surtout, c’est que vous ne vous rendez pas compte de ce que vous représentez, en réalité, pour quelqu’un comme moi. Pour une maman flemmarde et débordée qui rêve de moments à ne rien faire. Pour quelqu’un qui refuse d’inviter ses collègues certains soirs parce que vraiment, son intérieur, c’est plus possible. Pour une maman qui rentre de la maternité, ne dort jamais plus de 2 heures d’affilée, et fond en larmes devant les miettes tombées sur le sol parce qu’elle ne se sent pas la force d’aller chercher l’aspirateur.

J’ai toujours été bordélique. Et pas du tout à cheval sur le ménage. Mais quand j’étais enfant, le ménage se faisait tout seul, dans la maison, comme par magie. Quand j’étais étudiante puis jeune active célibataire, je m’y suis mise, mais honnêtement il n’y avait pas grand-chose à faire ; un saut à la laverie le samedi matin, un coup d’aspi, une assiette à passer sous l’eau…

Je croyais fermement qu’on n’avait pas besoin d’y passer des plombes, que ma mère qui me disait « Il faut consacrer une heure par jour à ton ménage ! » était une psychopathe maniaque, et que bon, y a des choses plus importantes à faire, dans la vie.

Et puis je ne sais pas ce qui s’est passé. Mes appartements ont grandi (mes appartements successifs, je veux dire. J’ai pas plusieurs appartements à la fois), la surface de plancher aussi, les tas de linge et de vaisselle ont gonflé. Je me suis retrouvée entourée de petites personnes qui me forçaient à m’asseoir trois fois par jour pour manger un vrai repas. J’ai dû cuisiner, mettre la table, débarrasser, faire la vaisselle. Sans compter que mes nouvelles invitées ont une fâcheuse tendance à balancer la moitié de leur repas sur le sol (et ensuite à marcher dans toute la maison, un petit pois écrasé entre les orteils). A faire pipi sur le sol tout juste nettoyé. Ou dans des draps propres. A coller leurs mains et leurs bouches sur la vitre pour faire « un bisou maman ».

Et moi aussi, j’ai changé : les vêtements que j’avais toujours portés froissés, il m’a soudain paru impensable de ne pas les repasser. J’ai l’impression d’avoir de nouveaux yeux : je vois la poussière sur les meubles, les tentures froissées, les auréoles sous les tasses… Je commence à comprendre plein de trucs que me disait ma mère et qui étaient du chinois pour moi avant : « Une maison propre, c’est bon pour ton moral », « Tu seras plus à l’aise pour recevoir tes amis si c’est bien rangé chez toi » (parce que perso, quand j’étais étudiante, ça dérangeait personne, les Pringles écrasés sur la moquette – chez mes copains c’était bien pire). J’ai compris pourquoi elle « faisait le ménage pour la femme de ménage » (parce que c’est pas facile de passer l’aspirateur entre les legos) et pourquoi elle avait ce petit sourire satisfait après avoir passé la journée à faire le ménage.

Oui, c’est moi. Presque.

Comme dit Namour « C’est pas que j’ai envie de faire le ménage, mais j’ai envie que ce soit propre… »

Alors Mme H., peut-être que vous me prenez pour une grosse flemmasse, et vous n’avez peut-être pas tout à fait tort. Vous savez aussi sûrement qu’avec mes deux mini-monstres, je peux n’avoir pas arrêté de la journée et n’avoir quand même rien rangé ni nettoyé. Vous savez que lorsque Mini-Princesse reste éveillée toute la nuit, quand j’ai finalement réussi à dormir une demi-heure, ma première pensée en ouvrant les yeux est pour le linge qui moisit doucement depuis hier matin dans la machine. Et ma deuxième pensée est « Si je reste suffisamment longtemps au lit, peut-être qu’il va gentiment disparaître… » (en fait, non. Il disparaît pas.)

Tout ça pour vous dire, Mme H., que la prochaine fois qu’on vous demande votre métier, vous aurez le droit de répondre de ma part : « Psychologue – thérapeute de couple – assistante sociale ».

Grâce à vous je n’aboie pas sur mon amoureux quand il me dit bonjour, je ne détruis pas mes filles quand elles sortent leurs – 2000 – cubes de leur chambre, je ne me trouve pas nulle comme avant, quand je m’apercevais en m’asseyant que j’avais la plante des pieds noire rien qu’en ayant marché pieds nus sur le plancher. Je souris, quoi, tranquillement.

Et je vous jure, Namour et moi (oui, parce que cette lettre ne vise aucunement à sous-entendre que c’est moi qui ferait tout, parce que c’est même pas vrai. Namour est parfait et il passe la serpillère comme un Dieu tout en restant sexy), on fait de notre mieux, vraiment. Mais quand on sent que notre mieux ne vaut plus grand-chose et qu’on va faire bouffer l’éponge à la prochaine qui fait tomber un grain de riz par terre, hop, mieux que SuperWoman, un coup de fil et vous êtes là, avec le sourire. Chez moi ça sent bon, et mon cœur est aussi rutilant que le carrelage de ma salle de bain.

Oui, c’est beau.

Alors un petit message pour mes fidèles lecteurstrices : si vous n’en pouvez plus, et que vous êtes sur le point de bouffer le chat pour qu’il arrête de perdre ses poils, trouvez-vous une Mme H. C’est un bon investissement, et de toute façon, ça ne vaut pas plus cher que le beau vase que vous vous apprêtez à lancer sur Chéri qui n’a pas mis ses chaussettes au sale.

Peut-être que vous avez une jeune maman dans votre entourage, et que vous ne savez pas quoi offrir comme cadeau de naissance ? Oubliez le 997ème doudou pour lequel la maman vous grommellera un « rhô qu’il est hmmm – mignon… » et qu’elle jettera dans la boîte à doudous avec les 996 autres. Tentez l’heure de ménage, comme cadeau. Vous verrez ses yeux s’agrandir lentement de surprise, s’humidifier soudain, de reconnaissance… et là, normalement, elle vous saute au cou et vous êtes désigné parrain du bébé et meilleur ami pour toute la vie.

Merci pour tout, Mme H. Et à mercredi prochain.

(Note pour moi-même : penser à ranger les Legos mardi soir)



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