Parce que l’heure est aux bilans et aux bonnes résolutions, voici la
suite. Où l’on constate encore que la parentalité, ça éveille parfois en nous
des choses pas jolies jolies… Nommément, en ce joli, euh, pourri jour du mois de décembre, l'avarice. Si si.
Je vous vois déjà vous lever en protestant : « De l’avarice,
ça va pas la tête, non ? Alors que je suis client gold chez le marchand de
jouets, que j’ai payé les vacances du pharmacien et la nouvelle voiture du
marchand de fringues pour enfants ? Que j’ai demandé à mon chef de virer
directement mon salaire sur le compte de la nounou et que quand j’appelle mon
banquier, ma sonnerie attitrée c’est « Petit papa Noël » ?
Calmez-vous. Rasseyez-vous. Ramassez le verre que vous venez de faire
tomber. Tout va bien. Voyez-vous, je ne vous accuse pas de radinerie. Non,
l’avarice, ce n’est pas nécessairement enterrer un coffre de pièces d’or au
fond du jardin en portant des chaussettes rapiécées parce qu’on ne veut surtout
pas dépenser son sou fétiche. A l’origine, c’est « l’accumulation
des richesses recherchées pour elles-mêmes. » (avaritia en latin) (je suis trop cultivée comme fille) (wikipedia
powa)
Vous ne voyez toujours pas de quoi je veux parler ?
Faisons un petit voyage dans le temps. Fermez les yeux. Essayez de revoir votre
studio d’étudiant(e), il y a 10 ans (bon, d’accord, 15. Ah, vous 25 ? nan
mais c’est pas grave hein, j’ai rien contre les vieux. Reprenons.)
Au mur, des posters scotchés, récupérés dans des vidéos
clubs. Une table Emmaüs. Un fauteuil récupéré dans la rue. Des assiettes
dépareillées (elles étaient là quand j’ai emménagé).
« Nan, ça va, j’arrive bien à vivre avec 500 euros par
mois ; limite, quand je gagnerai plus, je me demande ce que je ferai de
tout ce fric. »
Au bout d'un moment, on s'habitue aux démangeaisons |
On ignorait alors que, tapie dans l’ombre, l’immonde
sorcière Marketing nous observait en ricanant. On pensait lui échapper. On
ignorait qu’elle avait une arme secrète. Un gros tampon flamboyant, avec écrit
dessus en gros : « BÉBÉ ». C’est un tampon magique, qui,
appliqué sur n’importe quel objet du quotidien (thermomètre, compote, serviette…)
en fait doubler le prix.
On a cru encore qu’on résisterait.
« Un enfant, ça a besoin des bras de son papa et de sa
maman, c’est tout ! »
« Comme cadeau, on demandera seulement des livres, pour
lui. On va pas en faire un pourri gâté. »
On était convaincus, on y croyait.
Ouvrez les yeux, maintenant. (Oui je sais, ils étaient pas
vraiment fermés, sinon vous auriez pas pu lire. C’est une façon de parler.
Laissez tomber.)
Regardez autour de vous. (si vous êtes chez vous, hein. Si
vous êtes dans le métro, ça n’a pas de rapport. Mais vous pouvez regarder
autour de vous quand même, histoire de vérifier que personne n’est en train de
vous tirer votre sac.)
Vous le voyez, ce sapin qui vous nargue, pour lequel vous
avez déjà accumulé 8 kilos de cadeaux en plastique planqués dans votre
penderie ? Cette balancelle qui coûte le prix d’un week-end à Venise et
dans laquelle votre princesse n’a jamais voulu dormir parce qu’elle balance
latéralement et pas verticalement ? Ce thermomètre frontal magique censé
donner la température de l’enfant sans même le réveiller, ainsi que la
température de la pièce, la durée de cuisson des œufs à la coque et l’âge du
capitaine, et qui n’a jamais affiché autre chose que 32° ?
Je suis formel, votre fille est un lézard |
Ce coussin transat sans lequel aucun enfant ne
pourrait s’endormir sereinement, et qui sert aujourd’hui de coussin au
chat? (et dégage une persistante odeur d’urine ; le chat ou le
bébé ?) Cette poussette-tank qui a écrasé la moitié des orteils du
quartier et qui rouille à la cave parce qu’au bout de 5 mois et demi, il a
fallu acheter une poussette canne, sur la demande conjointe de vos voisins et
de votre kiné, qui vous promettait un lumbago carabiné si vous continuiez à
porter ce truc dans les escaliers 4 fois par jour ?
Ce n’est pas de « l’accumulation des richesses recherchées pour
elles-mêmes », ça, peut-être ?
« Mais mais euh, c’est pas pour elles-mêmes !
C’est pour mon enfant ! Pour son bonheur ! Son bien-être ! Sa
santé ! »
Je ne vous en veux pas, vous savez. Vraiment pas. Je ne vaux
pas mieux.
Moi aussi, il m’est arrivé de me réveiller en sueur, au
milieu de la nuit, après un cauchemar dans lequel je voyais ma fille, adulte,
habillée en gothique, me hurlant : « Tu m’avais filé un tapis de jeu
d’occaze ! Et des bodys de chez Tati ! Je n’ai jamais eu de siège de
bain ! Et tu t’étonnes que j’ai mal tourné ! »
Moi aussi je promets à chaque Noël, chaque anniversaire : «
Un seul cadeau, hein ! Je ne veux pas qu’elles soient pourries gâtées ! »
Et je ferme les yeux au moment de taper mon code chez
JouéKlube pour ne pas voir s’afficher le montant.
Je plaisante en disant « Pff, de toute façon on sait bien
qu’ils jouent plus avec le papier cadeau ! »
Il ne faut pas s’auto-flageller, hein. C’est pas de notre
faute à nous. On n’est pas les plus forts.
Je les imagine, les maîtres du marketing. Dans un bureau
vitré, tout en haut d’un building, tous cravatés et le poil luisant. (oui je
sais, je regarde trop de films américains. C’est mon imagination, je fais ce
que je veux, na.)
Ils complotent. Ils calculent. Ils savent comment actionner la
serrure magique de nos portefeuilles
Ils peuvent compter sur trois choses.
L’ennui d’abord. Je me suis demandé pourquoi on devenait
aussi zinzin pendant la grossesse. Mais c’est pas très compliqué, en réalité. 9
mois. 9 mois ! Vous avez déjà attendu quelque chose 9 mois ?! Je veux
dire, sans rien faire ? Oui, d’accord, on fabrique des reins, des yeux,
tout ça, mais c’est pas comme si ça nous impliquait vraiment le cerveau. Alors
faut qu’on s’occupe, qu’on ait l’impression de participer. Je peux pas faire
aller les choses plus vite, alors au moins je vais me rendre utile, te préparer
des vêtements, des doudous, un nid douillet. Parce que c’est trop looooooong d’attendre !
Pour peu qu’on soit un peu bloquée à la maison, avec l’ordi
en train de hurler notre nom « ta carte bleue ! donne-moi ton numéro
de carte bleue ! et n’oublie pas le cryptogramme ! », on est
foutue.
Puis la culpabilité, bien sûr. Parce que franchement, quel
genre de mère on serait, à refuser à notre enfant d’être le plus fort/le mieux
immunisé/le plus épanoui/le plus éveillé/le mieux armé ? hein ? alors
qu’on a tout à portée de main ? franchement ?
Je n'ai jamais manqué de rien |
Mais c’est pas ça, qui m’achève, moi. Non, face à tout ça,
je peux encore résister philosopher, décortiquer, analyser, lutter, expliquer.
J’entends encore la petite donneuse de leçons dans ma tête
qui me démontre par a + b que non, on n’a pas besoin de ce pyjama puisqu’on en
a déjà 87, en tissu, en polaire, à manches courtes, à manches, longues, avec
pieds, sans pieds, unis, à pois, à rayures, avec des zèbres, des chiots, des
nounours et des rhinocéros.
Et de l’autre côté de ma tête, j’ai ça :
MAIS C'EST MIGNOOOOOOOOOOOOON!!!!!!!!!!!!!!!!!! |
Toute résistance est inutile.
Et au fait, Joyeux Noël !
Très bien décrit!!! Merci pour cet article si amusant et réaliste :)
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