dimanche 1 octobre 2017

Lettre à ma gynéco, ou il n'y a pas que les violences qui peuvent faire mal

Lettre à ma gynéco
Coucou,
Non, ne cherche pas, tu ne te souviens sûrement pas de moi. On s’est vues en rendez-vous trois fois il y a trois ans, tu as dû voir quelques centaines d’autres patientes depuis. Ah, et puis tu as sorti mon bébé de mon ventre, aussi. C’est quelque chose que tu fais tous les jours.
Comme tu l’imagines, moi, on ne me sort pas un bébé du ventre tous les jours. Ça fait déjà une sacrée différence entre nous.

J’imagine que tu as remarqué que depuis quelques mois, ta profession est pas mal malmenée. Partout, on trouve des récits atroces sur les violences gynécologiques et obstétricales : des césariennes sans péridurale, des remarques ignobles, des épisiotomies sanglantes, du mépris, de l’incompréhension…
Je t’imagine lisant tout cela, et je me demande ce que tu penses. Tu es choquée, sûrement, tu te dis que ni toi ni personne que tu connais ne s’est jamais comporté comme ça. Que tu veux bien croire les témoignages, mais qu’il ne faut quand même pas en faire une généralité. Il y a des fous et des incompétents dans toutes les professions, c’est vraiment injuste de te mettre dans le même sac que ceux-là, avec tout le boulot que tu abats.

Je pourrais commencer par te raconter que moi, je n’ai jamais rien vécu d’aussi violent. Mais que j’ai quand même croisé des gynécos un peu spéciaux. Il y a le premier que j’ai vu, à 18 ans, pour avoir la pilule. Qui m’a dit : « Je pourrais vous donner une pilule remboursée, mais ça fait grossir, et bon, vous n’avez peut-être pas besoin de ça. »
Rien de grave, tu vois. Mais pas très agréable ni rassurant.
Quelques années plus tard, vers 25 ans, il y a eu celui, pas de première jeunesse, qui m’a tutoyée d’emblée, et qui au moment de remplir sa fiche, m’a lancé « Bon, vous n’avez pas de relations sexuelles, j’imagine ? » J’en suis un peu restée bouche bée. Je ne m’imaginais pas à ce point repoussante, pour tout t’avouer.

Pas très malin tout ça, mais pas de quoi fouetter un chat, tu me diras. Tu te demandes où je veux en venir. Toi, t’as bien fait ton boulot, après tout.

Et c’est vrai, je n’ai subi aucune violence de ta part. Et pourtant… J’aimerais tellement pouvoir te faire comprendre combien ton attitude peut mettre mal à l’aise, peut blesser. Qu’il suffirait de pas grand-chose, à commencer par l’écoute.

Quand je suis venue te voir, j’étais enceinte de ma troisième fille. Je t’ai expliqué, l’air de rien, que les deux premières étaient nées par césarienne. J’ai murmuré, bizarrement timide, que je ne vivais pas ça très bien. Que je me demandais si, pour cette fois, on ne pourrait pas essayer… tu m’as coupée : après deux césariennes, c’est césarienne, il n’y a pas à réfléchir.
Je savais que les AVAC existaient, et même les AVA2C. Je me suis demandé si tu le savais, si tu trouvais ça juste absurde, si tu pensais que ce n’était pas la peine de m’expliquer pourquoi c’était une mauvaise idée, que je ne comprendrais pas.
Je n’ai pas réussi à te poser les questions que j’avais en tête. Depuis 9 ans, je rêve de vous demander, à toi et à tes collègues, pourquoi mes bébés ne descendent pas dans mon bassin le dernier mois. Pourquoi je n’ai aucune contraction. Ce qui se serait vraiment passé si on avait attendu, pour chacune de mes grossesses, au-delà du terme. Si on était vraiment en danger. Ce qu’il se passerait vraiment, si on essayait de me faire accoucher. Ce que je risquais, ce que le bébé risquait, à quel pourcentage. Les trois fois (une fois d’urgence, deux fois programmées), on m’a juste dit qu’il fallait le faire, que c’était comme ça. J’aurais juste aimé comprendre.
Toi, des accouchements, tu en fais, tu en as vécu ou en vivra peut-être. Moi, je n’ai pas d’autre occasion.
J’ai essayé, parfois, d’expliquer que c’était difficile à vivre, que j’avais l’impression d’être une femme un peu ratée, qui n’arrive pas à faire naître ses enfants. Que c’était dur de ne pas avoir accouché. Mais ni toi, ni les autres n’ont entendu.

J’ai quand même réussi à te parler de mon autre préoccupation. D’une petite voix qui ne m’est pas habituelle, je t’ai dit qu’après ce bébé-là, plus tard, j’aimerais bien en avoir d’autres. Que je me demandais si c’était possible. Parce que, vous savez, ma tante dit que… Tu as souri, tu as dit : « Un quatrième ?!? Au troisième, généralement, on en profite plutôt pour faire la ligature des trompes au passage. »

Puis tu m’as dit que ça dépendait de l’état de la cicatrice, que tu pourrais me le dire après.

Tu m’as quand même dit de ne pas m’inquiéter, que contrairement à ce que j’avais vécu pour ma deuxième fille, mon bébé resterait avec moi tout le temps, qu’elle serait sur moi en salle de réveil. J’étais rassurée, un peu. Je me convainquais que malgré la césarienne, ce serait un joli moment.

Le jour venu, je me suis retrouvée allongée, les bras attachés en croix, comme d’habitude, les yeux au plafond. Pourtant, j’ai lu que ce n’était pas obligatoire. Tu me dis vaguement bonjour, tu es concentrée. Piqûre, découpage, sortie du bébé. Je connais bien ces sensations maintenant. J’essaie de repérer le moment où ton scalpel entame la peau, le moment où tu sors le bébé, mais je ne sais rien, et tu ne dis rien.
L’infirmière attrape mon amoureux, l’emmène comme prévu dans la petite salle juste à côté pour nettoyer ma fille. Il me l’amène, puis il m’explique qu’il y a eu un problème : il y avait beaucoup de liquide, elle a mis du temps à sortir, elle en a respiré. C’est pas grave, mais elle doit partir en néonat pour qu’on l’aide à respirer et à vider ses poumons.
Je ne l’aurai pas avec moi en salle de réveil. Je ne serai pas là quand ses sœurs la verront pour la première fois.
Pendant ce temps-là, tu me recouds, puis tu t’en vas. Je ne sais plus si tu m’as dit au revoir, mais je sais que c’est la dernière fois de ma vie que je t’ai vue. Tu ne m’as pas expliqué ce qui s’était passé. Je me demande si c’est de ta faute, si tu as mis trop de temps à la sortir.  Tu savais bien que ce n’était pas très grave, qu’elle sortirait de néonat moins de vingt-quatre heures plus tard. Tu as sûrement assisté à des naissances bien plus dramatiques, celle-ci ne t’a pas inquiétée. Le plus important, c’est que l’enfant aille bien, non ? Le reste, ça passera…
Evidemment, ce dont on avait parlé, savoir si je pourrais avoir une quatrième grossesse un jour, ça ne t’a même plus effleurée. Je ne pense pas que tu t’en souvenais. Tu as des fiches, pourtant.

J’ai donc passé deux heures en salle de réveil, à 8 de tension, ayant envie de vomir à chaque respiration, seule, parcourue de tremblements.

J’ai vu ma fille 10 minutes en 24 heures. Ensuite, on lui a enlevé ses tuyaux, et on l’a laissée près de moi. Comme tous les bébés.

Alors oui, je vais bien, elle va bien. Il y a des naissances tellement plus dures, des souvenirs tellement plus douloureux, je peux m’estimer heureuse. Tu ne m’as pas maltraité, tu ne t’es pas rendue coupable de maltraitances gynécologiques, rassure-toi.

Mais tu ne m’as jamais écoutée.

Avant de te laisser, une chose : ce qui m’a aidée, pendant ces quelques jours, ce n’est pas la pensée des 15 minutes pendant lesquelles tu m’as ouverte puis refermée, ce n’est pas non plus la psy de la clinique qui m’a écoutée pleurer pendant une demi-heure en hochant la tête. C’est les infirmières et les puéricultrices, qui ne m’ont pas quitté, qui ont répondu à mes questions, qui ont bavardé avec moi. C’est le souvenir de l’aide-soignante qui m’avait accueillie, le matin avant la naissance, qui avait rempli mes papiers et préparé ma chambre. Lorsque j’étais en salle de réveil, elle était revenue me voir. Elle était habillée en civil : son service était terminé. Elle m’a pris la main et m’a dit : « Je sais que ça ne s’est pas passé comme vous le vouliez. » Ça n’a pas eu l’air de beaucoup lui coûter. Elle non plus ne se souvient sûrement plus de moi. Mais son geste, je m’en souviens.




4 commentaires:

  1. C'est un triste témoignage, mais beau aussi. Il est certain qu'il n'y a pas besoin de se faire malmener physiquement pour subir des violences médicales. Je pense que les médecins oublient trop souvent que quand on a à faire à eux c'est qu'on a besoin d'eux et de leur savoir, on est vulnérable, on a peur, on doit se dévoiler dans notre intimité... Et avoir un mur en face, qui reste froid face à nos pleures, cynique face à nos questions et qui ne prend pas la peine de nous écouter parce qu'ils ne souhaitent pas nous voir en temps qu'individu à part entière avec tout ce que ça comprends (et oui on a des sentiments !) c'est de la violence ! On peut ce dire que c'est le métier qui veut ça, qu'ils doivent s'enducir, ou qu'ils voient passer tellement de monde qu'ils finissent par ne plus nous voir... Peut-être pour certains... Pour le reste balivernes ! Les infirmières sont dans le même cas, et je n'en ai jamais vu une faillir à sa bienveillance, ça doit exister, mais alors que j'ai vu de nombreux médecins, et pas que des gynécologues d'ailleurs, m'ignorer sciemment, la plus bourrue des infirmières essuyait la larme sur ma joue et me disait que ça allait bien se passer...
    Ils n'ont pas d'excuses, ils doivent arrêter de nous mépriser et de nous traiter comme de la merde c'est tout.

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  2. Ce n'est pas de la violence, plutôt de la négligence. En tout cas ce n'est pas de la bienveillance...

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  3. Vous m'avez mis les larmes aux yeux et pour cela je regrette d'avoir arrêté mon métier d infirmière.

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  4. Bonjour ,
    Je me reconnais tout à fait dans cet article .
    3 enfants , 3 césariennes .
    Le 1er , le père était parti à l’annonce de la grossesse , césarienne programmée deux semaines avant pour macrosomie fœtale .... césarienne faite par une interne sans qu’on me prévienne que ce ne serait pas le chef du service Gyneco Obstetrique qui l’a ferait, pourtant il est passé me voir moins D’une heure avant l’intervention. Pour le coup j’ai suivi oralement le déroulé de l’intervention .... quand il lui rappelait comment tenir le bistouri, quand j’ai entendu « attention vous allez faire tomber le bébé !!! » et quand j’arrivais à bouger mes orteils et qu’elle n’avait pas fini de me recoudre ..... mais elle a mis trop de temps à sortir le petit donc il s’est retrouvé en néonatal 24h sans que je puisse le voir ( refus de m’emmener sur l’en lit médical alors que c’etait Juste un couloir à traverser )... et sans papa non plus pour s’en occuper .
    J’ai bien insisté malgré tout sur le fait que je voulais absolument allaiter , répèté et répété .... mais c’est sympa on m’a offert deux photos prises en néonatal pour que je vois comment il était et sur ces photos qqn lui donne le biberon ... du coup l’allaitement n’a jamais fonctionné . J’ai tenté en vain 48h puis capitulé....
    Quelques jours plus tard j’ai fait une sorte de baby blues ..... je réalisais que j’avais déjà tout raté avec mon enfant : pas pu le faire naître moi même , pas pu lui donner de père , pas pu le nourrir moi même , et même pas pu avoir été à ses côtés pour l’accueillir et le câliner les 24 premières heures .... j’avais demandé le passage de la psy ... ellle m’a écouté la tête plongée dans un cahier sans sortir un mot....



    Pour ma 2e j’étais tellement frustrée de la première césarienne que j’ai précisé que je voulais un accouchement voie basse. Ils ont été à l’ecoute , on a essayé . A j+2 elle n’etait Toujours pas née .... mais commençait à manquer de liquide amniotique , et j’ai commencé une pre eclampsie .... d’ou La césarienne . Pas de déclenchement de toute façon car le col était encore bien fermé



    Puis 3 ans plus tard bb3, un petit mec :. J’ai reparlé de la frustration de n’avoir que des césariennes , que je voulais faire naître mon bébé moi même ... on m’a répondu que c’etait Impossible car utérus cicatriciel donc les cicatrices intérieures risquaient de rompre sous l’effet de la poussée de bébé...... avec risque vital pour la mère et l’enfant...
    Ok ... alors j’ai parlé de ma frustration de ne jamais avoir pu découvrir mon Bebe ni même temps que le papa . Donc tout a été mis en place pour que le papa soit présent pendant la césarienne ( après la rachi).
    Césarienne programmée 2 semaines avant terme . Mais 4j plus tôt tension a 25!! Début de pré éclampsie ..... hospitalisation pour rétablir la tension et césarienne le lendemain , avec le papa présent

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