Voilà, entre, je t’en prie. Tout est prêt, tu
vois. Les petites sont nourries, lavées, pyjamatées, tout ce que tu as à faire
c’est lire un imagier des couleurs et passer la soirée à regarder le câble.
Oui, je te donne le code wi-fi, pas de problème. Si tu as faim, surtout
sers-toi dans le frigo. Voilà. Tu vas être payée à regarder la télé en
morfalant mes carambars. (Enfin, ceux des filles. Les miens, ils sont planqués
dans ma cachette secrète anti-enfants. Les mamans, ça a des petits secrets.)
Enfin, je dis ça, on ne sait pas. Il est possible que Princesse Première décide
ce soir-même qu’elle ne se couchera pas avant minuit deux, que Princesse
Deuxième fasse 4 cacas fétides d’affilée dans ses couches neuves, ou qu’elle soit
malade tout d’un coup et qu’il faille l’emmener aux urgences. Ce sont des
choses qui arrivent : à nous, ça nous est arrivé. Mais étrangement, je
doute que tu aies des problèmes ce soir. Mes filles, généralement, elle préfère
garder les galères pour leurs parents. Ça les énerve plus, c’est plus fun. Avec
les autres, de vrais petits anges.
Ça ne te dérange pas que je te tutoie,
j’espère, vu que tu as l’air de sortir tout juste du lycée. Et que du coup, je
me sens super vieille. D’ailleurs, je vois bien que tu penses que je suis super
vieille. Ne nous attardons pas sur le sujet. Tu seras sans doute étonnée, étant
donné que je suis super vieille, mais tu me rappelles un peu moi en jeune.
Enfin, je veux dire, il n’y a pas si longtemps, c’est moi qui allait garder des
enfants chez les autres. Ça me sortait de mon studio rikiki, et pareil, me
permettait de passer la soirée sur un canapé confortable à regarder le câble en
bouffant des carambars. Alors, ça me fait un peu drôle de me retrouver de
l’autre côté, de devoir prendre l’air sérieux et tout, de noter le numéro de
téléphone du resto et de te montrer où on range les lingettes.
Il faut quand même que je t’explique que,
ben… c’est pas si facile que ça, pour moi, de te les laisser. Oui je sais, ce
n’est pas la première fois. Elles vont à la crèche, à l’école, tout ça, ça fait
déjà un petit bout de temps que je ne les porte plus en permanence comme des
bébés kangourous… N’empêche que, je ne te connais pas encore, tout ça. Et
pardonne-moi, mais le fait que j’ai été à ta place il y a quelques années n’est
pas forcément fait pour me rassurer. Non, n’insiste pas, je ne raconterai rien.
Tous ces enfants vont parfaitement bien aujourd’hui.
Donc, histoire qu’on démarre du bon pied, voici quelques petits
conseils :
1.
N’arrive pas en avance.
Oui, je sais, tu veux bien faire. Montrer que
tu es ponctuelle, sérieuse, digne de confiance et tout ça. Mais ponctuelle, ça
veut dire à l’heure. Pas 15 minutes avant. Mieux vaut en avance qu’en retard,
penses-tu ? Certes. Mais 15 minutes, c’est le temps qu’il me fallait pour
effacer les traces de feutre de mes joues, me maquiller, rentrer (au
chausse-pieds) dans ma jolie robe, débarrasser la table, jeter les jouets en
tas dans le placard, mettre la poussière sous le tapis, enlever le yaourt des
cheveux de Princesse Première, décrotter le nez de Princesse Deuxième,
expliquer à Namour que les chaussures marron, ça ne va pas avec le pantalon
noir, lui montrer où sont ses chaussures noires et retrouver ma deuxième boucle
d’oreille. 15 minutes, c’est le temps qui sépare le chaos du présentable. Et je
sais que ça ne suffira pas. Alors, je préfère que tu ne vois pas le chaos. S’il
faut en plus que je te montre où accrocher ton manteau et que je fasse tout ça
pendant que tu es plantée dans le salon à chercher quoi faire, on va vraiment
finir par être en retard.
2.
Ne fouille pas (ou si tu fouilles, fais en sorte que ça ne se voie pas).
Je t’en voudrais pas, hein. Se retrouver
toute seule chez des inconnus, c’est quand même un peu étrange, alors la tentation
est naturelle. Mais comme je viens de le préciser, il est fort possible que
j’ai eu à choisir l’option « rangement express » aujourd’hui,
histoire que tu n’aies pas l’impression de venir faire du gardiennage dans un
zoo. C’est-à-dire que j’ai tout mis dans les placards et j’ai vite fermé les
portes pour pas que ça tombe. Alors, c’est à tes risques et périls.
Et si tu tombes sur
mon sex-toy, tu ne pourras t’en prendre qu’à toi-même.
3.
Ne finis pas les Carambars des
filles.
Ou je devrais leur donner les miens. Et ça je ne
veux pas.
4.
Ne nous demande pas à quelle heure
on rentre.
Bon, peut-être que tu as besoin d’être
quelque part après, t’as un exam demain, un copain à voir, que sais-je. Je
comprends bien. Mais étant donné que ton salaire horaire est quasiment
supérieur au mien, ne la ramène pas trop. Je suis à fond pour encourager la
jeunesse dans ses études, je suis convaincue qu’on a besoin d’historiens de
l’art et je suis ravie de t’encourager dans cette voie, mais pour une fois
qu’on a cassé la tirelire pour sortir un peu, on aimerait bien ne pas avoir de
couvre-feu. Tu sais bien qu’on te paiera le taxi, ou que tu pourras dormir sur
le canapé (plus confortable que le clic-clac de ton studio) jusqu’à demain
matin. Parce que comme tu le disais à ta mère quand tu habitais encore chez
elle « mais on sait paaaaas quand on voudra rentrer ! ».
De deux choses l’une : soit on fait une
sortie « sérieuse », genre théâtre, opéra (si si, ça arrive),
concert… Et oui, il y a une heure de fin, mais qui sait si après on ne voudra
pas improviser, se faire un resto, boire un verre, louer une chambre d’hôtel à
l’heure (euh je m’égare…), bref, la nuit est à nous… C’est pas si souvent. Soit
on va chez des copains, ou dans un bar, et peut-être même qu’on ira en boîte. Oui
je sais, tu crois qu’on a 102 ans, mais on sort avec nos potes aussi desfois,
même que. Non mais. Et on restera jusqu’à la fermeture si on veut. Honnêtement,
au prix de l’heure, tu y gagnes, donc camembert.
5.
Ne fais pas de remarques…
… si on rentre à 3 heures du
mat’ l’œil vitreux, l’haleine chargée et la
parole hésitante. Promis, tu pourras bitcher tant que tu voudras avec
tes copines, mais là, c’est pas le moment. On est désolés, on s’est un peu
laissés aller. Mais c’est pas si souvent (ah, je l’ai déjà dit ?)
6.
N’essaie pas d’avoir des secrets
avec Princesse Première.
Mais oui, elle est super
choupi, cette petite. Je sais bien, c’est moi qui l’ai faite.
Je comprends que tu aies envie de la gâter un peu. En plus, si elle
t’aime bien, y a des chances que tu reviennes. Alors, un petit chocolat avant
de se coucher, un dessin animé en douce, une heure d’extra avant le dodo, ça
fait pas de mal, hein ? Ça sera votre petit secret ?
Laisse tomber. C’est vrai qu’elle t’aimera
bien, que vous vous amuserez bien ensemble, et sûrement qu’elle demandera à ce
que tu reviennes, mais ne compte pas sur de la reconnaissance. Les enfants sont
des ingrats. Et cette gosse est une balance. Même pas la peine d’essayer le
coup du secret. Elle raconte tout. Et si tu casses un verre par inadvertance,
pareil, inutile de rejeter la faute sur Princesse Deuxième, mieux vaut assumer.
C’est mieux qu’une caméra planquée dans un nounours, cette gamine. Elle nous
fera le récit de votre soirée en détails, qu’on le veuille ou non. (Souvent, on
veut pas. Mais elle s’en fout. C’est pénible à la longue… )
Une balance je te dis.
7.
Ne nous appelle pas pour dire que
tout va bien.
Ça part d’une bonne
intention, mais franchement, faut pas. Parce quand
ton numéro (enfin, celui de chez nous, plutôt, parce que faudrait pas
que tu dépenses ton forfait) s’affiche sur l’écran du portable, notre cœur
saute un battement. C’est pas super agréable, comme sensation. Le temps de
décrocher, tous les scénarios catastrophes (chute de table à langer, ingestion
de playmobil, réaction allergique insolite) défilent dans notre tête. Alors
quand on entend « C’était juste pour vous dire que tout va bien », on
est un peu énervés. On avait enfin réussi à commencer une sympathique
conversation entre adultes civilisés avec des amis, non interrompue par des
cris et des « je veux faire pipi », et zou, tu nous ramènes d’un coup
au statut du parent relou « oh excusez-moi c’est la baby-sitter, je
reviens ». Faut pas. Si c’est grave, tu appelles. Si c’est pas grave, tu
te débrouilles.
"Maintenant tu mouftes plus sinon je te fais pleurer comme ta soeur" |
Bon, pour le reste, je suppose que je n’ai
pas besoin de te demander de ne pas organiser de fête, boire des bières, appeler
3 heures ta cousine à New-York, regarder Dexter avec les filles ou draguer mon
mari, hein…
Passe une bonne soirée. À tout à l’heure.
La bise.
AHAHHA, le coup des 15 mn d'avance, c'est tellement ça!! Ma baby sitter arrive toujours en avance, alors maintenant on prévoit le coup :)
RépondreSupprimermerci pour ce billet très drôle!
La dernière fois, elle est arrivée alors que je n'étais pas encore rentrée du boulot, et mon pauvre Namour qui a dû faire la conversation pendant 1/2 heure (oui bon, j'étais aussi à la bourre, et alors?!?)
RépondreSupprimerExcellent article, copie conforme de ce que je vis avec ma baby sitter, extra ! Je découvre ton blog, je sens que je vais y rester un moment !
RépondreSupprimerHihi j'ai bien ri et découvre ton blog grâce à Maman lapin. Je transmets à mes filles...
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