jeudi 1 décembre 2011

Lettre à S.


Ma poulette,

Tu dois sans doute te demander pourquoi je t‘écris, alors que l’on s’est vues il y a 3 heures et que l’on vient de raccrocher le téléphone après un appel d’une heure. Ne t’inquiète pas, je ne te fais pas une déclaration : que je t’aime, tu le sais déjà.


Tu es ma pote, ma BFF, ma cop’s, ma biatche, la Paris Hilton de ma Nicole Richie, celle que j’appelle quand ça ne va pas pour me consoler et quand ça va pour me réjouir. Quand tu rencontres un mec, c’est à moi qu’il doit plaire pour avoir une chance de passer à l’étape suivante. Quand j’hésitais à « le » rappeller, , c’est toi qui prenais le stylo pour dresser le tableau des pour et des contre. Tu avais de l’imodium pour ma tourista en Inde, j’avais de la Biafine pour tes coups de soleil à Marrakech. Ensemble, nous avons survécu à M. L, le prof de physique sadique de 2nde 3, aux larguages par SMS, aux week-ends en famille et aux « alors, toujours célibataire ? », aux dortoirs crasseux d’auberges de jeunesse,  au chômage, et à La Grande Cuite de juin 2004. Et même à quelques accidents de parcours plus sérieux.  

Alors forcément, quand j’ai eu mon +++, comme elles disent dans les forums de Doctissimo, tu as été la première informée, après mon mec et ma mère (en réalité, ça a d’abord été ma mère, mais si tu répètes ça un jour, fais gaffe à ton matricule, j’ai des dossiers).

Sauf que c’est bien connu, quand on devient maman, on perd ses copines. Monica et Chandler vont vivre seuls en banlieue avec leurs jumeaux, Nicole fait deux gosses d’affilée et ne rappelle plus jamais Paris, qui continue à écumer les bars et se trouve de nouvelles meilleures copines.

Moi j’ai envie de te garder. Et je te jure que de mon côté, je vais tout faire pour ça.

Mais je vais avoir besoin de ton aide. Vraiment. Si tu es mon amie, je t’en supplie, lis attentivement ce qui va suivre.

1. Viens me voir

Je sais, je sais. Ta mère va te dire au téléphone : « Laisse-les respirer, c’est leur moment, arrête de t’incruster, et puis bon, toi, le bébé, c’est pour quand ? ». Du coup, non seulement tu viendras pas me voir, mais tu iras noyer ta détresse dans du Haagen Nazs double fudge et je ne serai même pas là pour te consoler.


Sauf que, quelques jours plus tard, c’est retour à la maison le bébé sous le bras. Papa se lève la nuit pendant les 11 jours de son congé paternité puis retourne tristoune au boulot, avec des traces de lait dans le dos de son costume. Et moi, j’ai l’impression que la banderole « Bienvenue bébé » déclare désormais « Bienvenue dans ta vie de Desperate Housewife ». 

Nan, pas celle-là

Je ne vois pas bien l’intérêt de m’habiller le matin (quant à se maquiller et mettre des bijoux, je ne me souviens plus de ce que ça veut dire) vu que personne ne me verra à part mon bébé et que de toutes façons je serai les seins à l’air les ¾ du temps. Je sors à la boulangerie en tongs une fois par semaine pour parler à un adulte et éviter de me mettre la tête dans le seau à couches, de désespoir. Je suis allée au parc une fois, mais je me trouve un peu ridicule, au milieu des toboggans, avec à côté de moi un bébé qui n’en a rien à faire et pionce aussi bien dans sa chambre.

Alors je reste chez moi. Je deviens plutôt bonne à Motus.



         Alors viens, s’il te plaît. N’attends pas que je t’appelle, j’ai perdu mon portable dans une pile de linge à repasser. Les premières fois, si tu veux du thé et des petits gâteaux… ben apporte-les, parce que moi je suis en chemise de nuit depuis deux jours, alors faire du thé… Raconte-moi tes histoires de mecs, de boulot, n’importe quoi tant qu’il n’y a pas de mots à double syllabe dans tes phrases, genre « dodo », « bébé », « caca », « lolo »… Extasie-toi devant ma merveille, mais ne la tripote pas trop, non plus, hein. Je maîtrise pas bien mon côté maman lionne encore. Et promis, la prochaine fois que tu viens, je mets un pantalon.


2. Ne sois pas trop exigeante…

Tu le sais, je le sais, malgré tout ce que nous avons en commun, aujourd’hui, nous vivons un peu dans des mondes parallèles. On croirait qu’on vit dans des appartements similaires, qu’on marche dans les mêmes rues, mais… Comme dans la pub des rillettes, « Nous n’avons plus les mêmes valeurs ».

Avant de me juger, rappelle-toi que moi, pendant 3 ans minimum (sans compter que j’ai remis le couvert, double peine), je vais vivre dans un monde où il est normal de mettre littéralement les mains dans le caca plusieurs fois par jour.
Un monde où toutes mes fringues auront au moins une fois été en contact avec un fluide corporel, vomi, pipi, fais ton choix.
Où on va aux toilettes la porte ouverte pour que le bébé n’en profite pas pour escalader l’étagère, et où on assiste aux mouvements intestinaux dudit enfant en l’applaudissant.
Un monde où aucune parure de verres, bols ou tasses n’est complète, et où je découvre des traces de feutre dans des endroits où Princesse Première n’a aucun moyen d’accéder. C’est comme les tags au milieu des ponts d’autoroute : j’ai jamais compris.

Alors oui, je te le jure, je te le promets sur ce que j’ai de plus sacré, je ferai absolument tout ce qui est en mon pouvoir pour que ton canapé Ikéa reste vierge de tout « oubli » nocturne si Princesse Première s’endort dessus pendant la prochaine soirée. Je mettrai un point d’honneur à éviter que ton dernier chemisier Zara soit baptisé au rototo, et que tes beaux livres de photos d’art se retrouvent couverts de bonhommes patate, même si la maîtresse a dit qu’elle était en avance pour son âge niveau graphisme. Mais tu sais, ma chérie, la première chose que j’ai apprise depuis l’arrivée de Princesses Première et Deuxième, c’est que je ne peux faire que de mon mieux, et que je ne peux pas tout contrôler.  Alors, dis, ne m’en veux pas trop pour le café renversé… promis, je t’offrirai un nouveau sac Vanessa Pruno pour ton anniversaire.

3. ...mais un peu quand même

Le truc, c’est que ce monde un peu étrange dans lequel je vis, à un moment, il faut que j’en sorte. Pour faire des trucs de dingue, genre aller au ciné, aller boire un coup, t’accompagner à une expo, ou même, mais là on entre dans la 4ème dimension, retourner bosser. Ce qui est très très étrange, c’est que, alors que, comparativement, j’ai vécu bien plus longtemps dans le vrai monde que dans Bébéland, on dirait que j’ai tout oublié. Je ne sais plus bien comment ça fonctionne. 


La preuve, l’autre jour j’ai dit à mon directeur qui me tendait mon emploi du temps « c’est super ça ! » sur le même ton que j’utilise pour féliciter Princesse Première quand elle colorie sans déborder. Alors sur ce coup-là, j’ai bien besoin de toi. Pour me rappeler avant de sortir que j’ai une barrette rose dans les cheveux, une tétine dans chaque poche, et qu’il est de coutume dans le vrai monde de se parfumer avant de rencontrer des gens, parce que régurgito n°5 n’est pas à la mode cet hiver.

Tu peux même, au cours de la soirée, me signaler discrètement que le récit détaillé de la première fois que Mini-Princesse a mangé une cuillère de purée de brocoli (« et après le contenu de sa couche était entièrement vert ! je te jure ! ») ne passionne pas forcément mes interlocuteurs.
Parce que bon, étant donné que ça intéresse d’ordinaire tous les gens qui m’entourent (à savoir, mon mec, ma mère et la nounou – et encore, elle je la paye, si ça se trouve elle fait semblant), je ne me rends plus bien compte.

4. Garde tes commentaires pour toi

Oui, je reconnais, celle-là, elle est un peu rude. Moi aussi, avant, quand je n’avais pas d’enfants, j’avais plein d’opinions, de principes, et je ne supportais pas les gens qui disaient « Tu n’as pas d’enfants, tu peux pas comprendre. »

Et c’est vrai que c’est n’importe quoi, de dire ça. On peut comprendre plein de choses, quand on n’a pas d’enfants. Je trouvais, je trouve encore ça insupportable de sous-entendre que nos principes ne valent rien, que sous prétexte qu’on a des enfants on nous livre la clé de la connaissance, et que maternité vaut diplôme de puériculture, et de psychologie, etc. J’aimais bien la personne que j’étais avant d’être maman, ses valeurs et ses principes, et j’essaye dans la mesure du possible de les conserver. J’en connais, des copines qui se sont perdues de vue parce que, en devenant maman, l’une d’entre elles s’est révélée soudain intraitable et sévère, ou au contraire fusionnelle à l’excès. J’espère ne pas avoir changé à ce point.

Sauf que… ça me fait un peu mal au cœur de dire ça, mais y a du vrai. C’est un peu la même chose qu’entre un texte de loi qui rassure les gens à la télé et l’appliquer sur le terrain. Y a des tas de principes qui ne survivent pas à l’épreuve de la réalité, ou tout simplement qui ne correspondent pas à ce bébé, à cet enfant-là.

Et puis aussi, ce sont mes enfants à moi. Ce qui veut dire que les conséquences, c’est moi qui les vit. Et que préparer cette personne à la vie, c’est mon boulot.

Certes, y a bien des fois où je suis complètement paumée ; alors je tâtonne, je cherche, je fais des expériences scientifiques avec mes petites comme cobayes. Si tu es suffisamment diplomate, je suis sûre que j’arriverais même à entendre de temps en temps ton avis.

Je ne suis PAS SUSCEPTIBLE !


5. Invite-moi

Invite-moi, invite-nous… Depuis qu’on est passés de l’autre côté de la force, Namour et moi ,il se passe un phénomène étrange : on a disparu des radars. Il ne vient plus à l’esprit de personne de nous inviter. Nulle part. Je ne te parle pas forcément d’invitations à des orgies où l’on se couvre le corps de whisky et de cocaïne pure, non. Des sorties normales. En boîte, dans un bar, au resto, chez des amis, au ciné, voir une expo… A part rendre visite à mamie dans sa maison de retraite, on ne pense plus jamais à nous. Ca part d’une bonne intention, hein. « Vous devez être fatigués, c’est difficile, avec les enfants… » Une fois, j’ai invité des gens à la maison et ce sont eux qui nous ont dit « Oh non, avec les enfants c’est trop compliqué, on ne veut pas vous déranger. » Alors que je les avais invités.
Bref.

Alors que elle, par exemple, dans deux heures elle rentre accompagner
la grande à l’école et étendre son linge.



Le truc, c’est que oui, on a des enfants, y a même des chances qu’on en ait encore. Alors parti comme ça, on a intérêt à se faire offrir des DVD à Noël, parce qu’on remettra pas les pieds dans un ciné avec 2042, et à notre prochain concert, Lenny Kravitz sera en déambulateur.

J’aime toujours boire des bières, hurler sur les chansons de Tryo et avoir des vraies conversations. Et quand tu me racontes ta sortie en boîte d’hier soir avec tes copains, le mec « trop mignon » avec qui tu as dansé toute la nuit, et « on s’est vraiment trop marré », ben ça me fait un tout petit pincement, oui, juste là. Comme quand j’étais choisie la dernière au ballon prisonnier. Et si je glisse un « mais… pourquoi tu ne m’as pas proposée de venir ? », tu me regardes avec de grands yeux ronds : « ben, je ne pensais pas que… »

Bref, tu me prends pour ta mère, quoi. J’ai eu des enfants, je suis pas devenue amish.

Et au fait : invite-moi, oui, et invite-moi plusieurs fois. Parce que je vais te dire non 14 fois, parce que je suis trop fatiguée, parce que je rentre pas dans mes fringues, parce que la petite est pas très bien en ce moment, parce que j’ai pas le courage de les confier à quelqu’un, parce que la baby sitter m’a lâchée… et la fois où je te dirai oui, je débarquerai avec armes, bagages et mioches, et tu passeras la soirée à te peler les nouilles en fumant sur le balcon et à piocher les cacahuètes sur le haut des étagères, parce que sur la table basse, c’est quand même trop dangereux..

Oui, je vais être super pénible. Insiste, je t’en prie.

Et promis, quand ce sera ton tour de passer de l’autre côté du rayon couches, je serai là.

Bises,

1 commentaire:

  1. Je suis toute émue parce que vraiment, ce sont des mots magiques! C'est EXACTEMENT ça! Oui! Surtout le dernier point, mais les autres sont également justes. D'utilité publique, ce blog!

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